Les Chèvrefeuilles

Gogo

Chaque été nous visitons en famille un petit coin de France que nous ne connaissons pas encore. Cette année, nous avons choisi Royan et le camping des Chèvrefeuilles dont les bungalows tout confort nous promettaient un séjour au plus près de la nature. À notre arrivée, il pleut, nous prenons donc tout le temps de nous installer : l’inventaire d’arrivée m’occupe pendant une grosse heure. Mon inventaire terminé, il pleut toujours.

Les enfants prennent possession de leurs chambres, deux fois plus petites qu’un wagon-lit. Ces enfants ne sont d’ailleurs plus vraiment des enfants : Camille a 17 ans, il est en pleine métamorphose. Il a une bague avec une tête de mort. Il a des phrases fétiches (« la vie la pute »). Il a découvert l’alcool pendant ses premières vacances avec ses amis juste avant de nous rejoindre (« le sky en vrai chépa c’est de l’alcool de quoi (SIC) »)
Il va devenir un beau jeune homme. Mais avant le papillon, il y a la chrysalide, cette chose moustachue et enroulée dans les draps 24h sur 24 qui ne quitte son lit que pour les repas. On aurait dû le laisser à sa place, sur le canapé du salon à Paris, ça aurait libéré un peu d’espace pour les autres.

Alors, évidemment, vous allez me dire : à quoi elle s’attendait ? bien sûr que c’est compact un bungalow, même tout confort  ! Ah, ces bourgeoises, elles ne sont jamais contentes. Tut, tut, tut, ce n’est pas ça, le problème, ceux qui me connaissent savent que je suis capable de vivre dans une boite à chaussures : le truc, c’est qu’on est restés DANS le bungalow toute la semaine à cause des trombes de pluie qui sont tombées sans interruption sur le camping des Chèvrefeuilles.

Et encore, nous n’étions pas les plus à plaindre. Martine, l’animatrice du camping, a bien ramé pour animer. Elle est payée pour rameuter les campeurs aux activités et on s’est fait choper le premier jour comme des bleus.
– Bonjour ! vous venez à l’éveil musculaire demain à la piscine ?
Nous, polis :
– heu bon oui pourquoi pas
Le lendemain, il pleut et il fait 10 degrés, on reste tous au lit, même Rose qui n’est pourtant pas une jeune fille d’intérieur. Martine nous attrape au vol dans les allées :
– dites-donc, vous m’avez fait faux-bond ce matin ! je vous inscris au concours de badminton ? au tournoi de softball ? à la randonnée ? à l’accrobranche ?
Nous, pleins de mauvaise conscience et de culpabilité :
– heu bon à la randonnée d’accord
La randonnée, c’était le tour du lotissement voisin, sous la pluie, avec une famille de parisiens du 11e arrondissement. Après cet épisode, nous avons soigneusement évité Martine. Sa guérite était à l’entrée, on se cachait dans un buisson en attendant qu’elle chope une mouche. Pendant qu’elle travaillait sa victime, on courait vers la sortie. Une fois, elle nous a vus et elle nous a poursuivis pendant 5 minutes.
– Je vous inscris au water-polo ? vous venez à la pétanque inter-famille ?

Comme les 154 896 autres personnes en vacances à Royan cette semaine-là, nous décidons d’aller au zoo de la Palmyre. Rose est de mauvais poil et montre les dents aux chimpanzés. Pour exprimer leur désapprobation face à l’attitude irrespectueuse de ma fille, ils repeignent la vitre de séparation avec leurs excréments.
Les perroquets, qui ont pris la confiance pendant le confinement, refusent de se remettre au travail, massacrant méthodiquement les chorégraphies annoncées par la dresseuse.
Le spectacle des otaries rassemble plusieurs dizaines de milliers de spectateurs autour d’un bassin à l’eau verdâtre, sublime potentiel cluster si nous n’avions pas été tous vaccinés et porteurs de notre pass nazitaire comme disent les Toufaits à voix un peu trop haute.
Enfermée avec Rose – inspirée par le happening des chimpanzés – aux toilettes, je suis ensuite violemment prise à partie par une voix tonitruante.
– Hé là-dedans ! Ce sont des toilettes pour handicapés alors faudrait voir à nous laisser la place, hurle une matrone visiblement habituée à faire valoir ses droits auprès du peuple normal qui ose pisser dans ses toilettes dédiées.
Sans me départir de mon flegme légendaire, je déverrouille la porte, je l’entrouvre d’un petit coup de pied bien ajusté et, tout en continuant à changer la couche XXL de ma fille, je demande à la dame si elle veut venir m’aider pour que ça aille plus vite. La tronche qu’elle tire est le bref mais intense moment de satisfaction de cette semaine.

Il reste encore beaucoup de jours à tirer, il faut les meubler. On s’offre une petite excursion en bateau pour aller VOIR le phare de Cordouan (25€ x 6) car VISITER le phare de Cordouan c’est 50€ x 6 : on reviendra avec moins d’enfants. J’oblige la troupe à s’habiller le plus chaudement possible, il fait toujours très froid sur l’eau et la météo est hivernale. (J’avais apporté plein de petites robes d’été, j’ai mis le même jean et le même pull (humides) pendant toute la semaine). Nous superposons les couches de vêtements, fermons les impers, rabattons les capuches. Au moment précis où nous appareillons, le soleil fait une apparition aussi soudaine qu’imprévue et en moins de 10 minutes il fait 35 degrés à bord. Nous suons comme des cochons avec une énorme pile de vêtements inutiles sur les genoux.

Les jours humides se succèdent jusqu’au vendredi, veille du départ tant attendu. En évitant Martine dans les allées, je tombe par hasard sur la boss du camping.
– Vous partez demain me dit-elle (ce n’est pas une question).
– Oui je réponds (j’ai hâte, même, meuf)
– Vous n’avez pas pris de rendez-vous d’inventaire de sortie
– Hum non
– Il ne me reste que 7h45 comme créneau
– Hé bah d’accord ! (je ne vois pas bien ce que j’aurais pu dire d’autre et je me fiche pas mal de l’heure à laquelle elle viendra compter les cuillères, à vrai dire).

Le lendemain, à 7h45, nous sommes paisiblement en train de prendre le petit déjeuner sous la pluie. Nous visons un départ à 10h comme demandé dans la brochure, dans les mails et à l’accueil. Mais le semi-gogo en charge des inventaires de sortie s’arrête net devant nous et glapit qu’on doit partir sur le champ puisqu’il est 7h45 et qu’on a pris rendez-vous à 7h45. Nous avons continué à manger nos tartines et boire notre café en l’ignorant. Le gars est reparti, furieux. Nous avons pris une douche, fait nos valises, bourré notre bordel dans Titine. Nous étions prêts à 10h pétantes comme prévu.
Rose a choisi ce moment précis pour lâcher les vannes, inondant sa salopette (et ses chaussures). Comme sa valise était tout au fond du coffre, il a fallu que je ressorte toutes nos affaires pour la changer. Quand on a eu fini de tout re-ranger, Titine n’a pas voulu démarrer. La batterie était à plat. Le chef du camping a bien voulu venir nous dépanner avec ses pinces crocodiles mais sa femme n’a ouvert la barrière de sortie qu’après avoir obligé Axel à refaire l’inventaire de l’Algéco, ses couverts de cantine en alu mou, ses verres Duralex ébréchés, ses couvertures boulochées.
Les sacs à viandes sous blister des suivants étaient déjà posés sur les alèses jetables des lits, une nouvelle famille arrivera dans l’après-midi pour une merveilleuse semaine de vacances au camping des Chèvrefeuilles.

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19 réflexions sur “Les Chèvrefeuilles

  1. Chère Zoé,
    Terrible et je suis vraiment solidaire de votre séjour qui a pris l’eau de toute part… mais ta plume toujours aussi irrésistible!!
    Merci pour ce moment
    Baisers
    Hélène

  2. Excellent, comme d’habitude !!
    J’y pensais justement l’autre jour et me disais qu’on n’avait pas de nouvelles depuis un certain temps. L’idée du droit des créatives et créateurs à des vacances me rassurait. Et je vois que j’étais dans le vrai…
    Bises à vous tous et à pluss.
    Pascal

    1. Cher Pascal, cette « vacance » m’a aussi permis de finaliser le tome 2 de Métro Boulot Gogo ! A très bientôt donc…

  3. Quelle idée de monter en troisième classe ! Mieux aurait valu louer un camping car !!! Quoique avec des ados, tout foire tout le temps

  4. oh attention Zoé …
    mon grand-père avait une maison à Royan parc et je connais le camping …ceci dit il a peut-être changé depuis. Mais toutes les licences poétiques du monde n’autorisent pas pour moi à débiner le zoo de la Palmyre ou je vais régulièrement depuis mon enfance.. j’y suis même allée avec Elisabeth et son asso ! 🙂
    Je me souviens aussi d’avoir passé des étés pourris à coller des gommettes dans le cahier offert par le club des pingouins tellement il pleuvait.
    et pour les excursions en bateau vous aviez raison : en bateau toujours prévoir un pull c’est le BA ba.
    amitiés,
    Juliette

    1. Ce pauvre camping – très bien au demeurant – a, j’avoue, fait les frais de ma mauvaise humeur météo-dépendante… Et le zoo de la Palmyre était top, en vrai.

  5. J’avais presque oublié internet tant ça faisait longtemps que je n’y avais pas lu un truc drôle.
    merci pour ce moment, comme d’hab c’était brillant et hilarant.

  6. Le camping sous la pluie, c’est comme les Seychelles avec sa femme et sa belle mère, comme une belle rando en vélo un jour de gastro, un bon film quand son voisin organise sa crémaillère, comme un caillou dans les chaussures de ski…
    Zoé, parfois, tes histoires nous font simplement rire, parfois savoure encore plus fort nos propres vacances…

  7. Avec tes SMS, je t’imaginais sous une tente sur un sol détrempé ! C’était finalement le bungalow de luxe, petit cachottière ! Donc tu as passé un été sous la pluie… comme tous les Français, quoi !
    C’est hilarant comme d’habitude merci la Zou

  8. Excellent !!!
    Nous aussi, nous y étions la semaine d’après avec un beau soleil. Mais j’ai aussi adoré tes magnifiques photos de Turquie 🙂

  9. Toujours un vrai plaisir de vous lire et de retrouver Rose. J’aurais adoré un joli dessin de la mégère qui râlait derrière la porte des toilettes mais l’imaginer me fait déjà beaucoup rire. Merci pour ce joli moment de détente (enfin pour nous, lecteurs biens installés au sec…)

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