Mangez et cassez-vous

Métro

L’autre jour, en revenant du marché du boulevard de Charonne, j’ai été obligée de changer de trottoir pour rentrer chez moi. C’était contrariant parce que je n’aime pas bien escalader les caniveaux avec mon caddie plein à craquer mais tant pis, que voulez-vous, il fallait bien que je passe. Il y avait là une foule de jeunes gens dépenaillés qui patientaient, attendant je ne sais quoi. Je remonte la file, intriguée, essayant de découvrir la raison de cet attroupement.

Hélas, je comprends vite de quoi il retourne en découvrant l’accoutrement de ces malheureuses jeunes personnes : pantalons troués, vêtements usagés et beaucoup trop grands, chaussures de sport avachies et sales, cheveux décoiffés : c’était une distribution alimentaire.

illustration parisiens

Si ce n’est pas navrant de voir des choses pareilles de nos jours ! Jamais je n’aurais cru qu’il y ait autant de nécessiteux par ici. C’est un quartier populaire, certes, nous sommes dans l’Est parisien, bien sûr, mais enfin, on pourrait nourrir une foule entière rien qu’en vendant un seul mètre carré de mon appartement. C’est révoltant.

Je m’approche d’un grand gaillard aux origines africaines, vêtu d’un survêtement qui lui tombe entre les jambes – le pauvre – et je lui demande s’il a faim. Le garçon lève le nez de son téléphone portable et me regarde bizarrement. « Bah oui, me dit-il, c’est pour ça que je suis là ». O mon Dieu, j’en étais sûre. Quelle indélicatesse de ma part, quelle imbécile je fais. Hors de question d’en rester là. Mue par une impulsion irrépressible, je sors de mon caddie le colis de mon charcutier et je lui tends mes tranches de serrano (seul sacrifice à la hauteur de ma bourde).

Il me regarde bizarrement et me rend les tranches de serrano.
« Vazy madame, merci mais je mange pas de porc, je suis suis juste en train d’attendre mon burger, là. Bouge »
« Qu’est-ce qu’elle veut, ta daronne ? » lui demande son compagnon, hilare.
« T’y crois ou pas ? elle croit jsuis un clodo »
« Jure ?! »

Ils se sont lancés dans une grande explication où je n’ai pas tout saisi à cause de leur vocabulaire exotique et des références étranges. Il a été question de beuze sur TocToc, de réseaux sociaux, de nourriture de rue et plein d’autres choses encore. Et finalement, une jeune fille aux cheveux bleus qui sortait de la boutique m’a mis dans les mains un petit hamburger chaud et gras. La foule a crié et chanté pour que je le mange, c’était tordant (et délicieux, je dois bien en convenir).

C’est le concept du lieu, on m’a dit : « mangez, et cassez-vous ! »

illustration mangez et cassez-vous Zoé illustratrice

illustration mangez et cassez-vous Zoé illustratrice

 

 

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3 réflexions sur “Mangez et cassez-vous

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