Je me suis inscrite à un atelier d’écriture.
Toutes les semaines, nous nous retrouvons en ligne pour une formation destinée à améliorer notre pratique de romanciers plus ou moins professionnels ou, du moins, souhaitant ardemment le devenir. Sur le papier, c’est parfait, très technique, assez pointu (« maîtriser la boucle narrative » « construire une arène dramatique » « tisser une relation entre le protagoniste et l’antagoniste »)
Un léger détail, toutefois, m’avait échappé au moment de m’inscrire : les gens qui ont du temps pour suivre ces formations sont (tous) à la retraite. J’aurais dû m’en douter, pourtant, moi qui n’aime déjà que les trucs de vieux (festival des plantes, visites de châteaux, micro-musées de province). J’ai 50 ans et je suis de loin la plus jeune.
Et alors ? me direz-vous. Et alors, rien, j’adore mes co-stagiaires, ils sont hyper sympas. Mais la moyenne d’âge élevée provoque tout de même quelques aléas dans le déroulé de la formation.
9h30, connexion. Les dentiers claquètent, les audioprothèses stridulent. On attend les retardataires jusqu’à 9h45. On rééxplique à Gérard comment ouvrir son micro. On rééxplique à Josiane comment allumer la caméra. Est-ce que quelqu’un a des questions sur la dernière visio ? Jean-Pierre tient à nous dire qu’il n’aime pas beaucoup le livre qui sert de base aux cours. On en discute jusqu’à 11h. Merci Jean-Pierre.
J’ai déjà coupé ma caméra pour éviter que mon énervement soit trop visible. En revanche, Philippe n’arrive pas (ne veut pas ?) couper son micro et sa femme vient le voir toutes les 10 minutes pour lui demander un truc. A-t-il bien pris ses médicaments ? Est-ce qu’il en a encore pour longtemps ? À quelle heure veut-il passer à table ? Philippe lui fait signe de se taire, énervé.
Le formateur mâche du chewing-gum et fait souvent de longues pauses au beau milieu d’une phrase. Aurais-je perdu le wifi ? Non, je vois qu’il cligne des yeux, sa mâchoire bouge, il est vivant. Et il reprend son cours avant de nous proposer, un quart d’heure après, une PAUSE TISANE (je jure que c’est vrai).
Là, j’ai hurlé « REMBOURSEZ » mais heureusement, j’avais coupé mon micro.
Je suis allée me faire une tisane.
Une demi-heure plus tard, on reprend. Michèle nous lit le passage qu’elle travaille en ce moment. Elle a 85 ans, de jolies boucles d’oreille et un nuage de cheveux blonds soigneusement coiffés. Son roman raconte l’histoire d’un prince devenu esclave sexuel dans un bordel. Il a un don pour le sexe et finira par s’échapper pour reprendre le trône de son père grâce aux orgasmes de qualité supérieure qu’il prodigue à tous ses clients.
Au moment où Gadelon sentit l’énorme glaive de chair dure pénétrer ses parties les plus tendres, il lui empoigna les testicules et serra le poing. Le gros homme poussa un râle de satisfaction et s’effondra sur lui, repu de jouissance malgré le tarif exorbitant que lui coûtait chaque séance avec le divin jeune homme.
J’ai du mal à me concentrer car Josiane, qui suit la visio sur son téléphone, pianote des trucs en même temps et le ballet incessant de ses gros doigts flous attire l’œil. Gérard s’est endormi. Jean-Claude demande s’il peut aller faire pipi. Ok, Jean-Claude, pas de problème, vas-y.
Allez, c’est enfin à moi de lire un extrait de mon travail en cours. J’attends ça depuis le début de la matinée car le manuscrit sur lequel je travaille me donne du de fil à retordre et j’espère parvenir à débloquer mon arc interne grâce à cette séance. Le formateur me donne la parole avant de m’interrompre aussitôt : il vient de voir qu’il était midi et demi, il va s’arrêter là pour aujourd’hui et nous souhaite un bon appétit.
Génial, brillant, drôle, incisif, comme d’hab. Quand j’ai vu la moyenne d’âge des co-stagiaires j’ai craint que l’un d’entre eux ne s’appelle Didier. Je l’ai échappé belle.
ah ah, ça aurait pu 🙂 MAIS si ça se trouve, Didier sera un prénom à la pointe de la mode en 2125.
Excellents, texte comme dessins, comme d’habitude !! Vraiment tu es trop forte !
Amitiés.
Pascal
Merci Pascal.
Mais non, je ne me sens pas visée ! Encore que, certains détails … Je te rappelle, ma nièce, que non seulement j’ai eu 16 au bac de français, (oui, je sais, c’était avant le déluge )
mais que j’ai gagné un concours d’essai littéraire récemment, qui devait se terminer par ces mots: « alors, tout s’est- il bien passé ? Oui, car il ne s’est rien passé . »
Je t’embrasse ma nièce géniale, vieille Tata Odile .
Tu n’es pas si vieille, tata Odile, j’ai une copine qui a 94 ans et qui est deux fois plus rapide que nous en calcul mental…. Je t’embrasse fort en tout cas.
Tu es toujours aussi drôle !!!
Pourvu que ça dure …. merci Solenn !
Ahaha bravo. C’est parfait.
Merci chère Lydia. Tes compliments comptent !
Zoé Zoé… croquante et craquante !!! À mardi alertes et enthousiastes de cinquante à qu’importe l’âge pourvu qu’on ait la plume… bise de Fan de Zoé
Tu noteras, chère Nella, que je t’ai trouvée trop jeune pour figurer dans mon tableau de chasse.
J’adore !!! Chic et cool !!!
Pascal est plus rapide que moi; mais après 500km de route pour un mariage Varine, ça fait beaucoup de bien de se détendre à l’arrivée avec ta prose toujours super; on t’attend toujours en Touraine avec parents, tout faits ….pour savourer ce qui reste du cochon . On t’embrasse fort .
Je suis ravie d’être ta pause rigolote cher Christian !
Oueh…..vieillir est très pénible, à tous points de vue. Quand ma mère me le disait, je lui répondais « à chacun son tour ». Maintenant la tour d’Ivoire devient mon lieu préféré !
Hélas trois fois hélas !
Quel mérite ! On attend toujours avec impatience les nouveaux postes : -) Merci pour cette parenthèse enchantée…
À votre service cher lecteur !
Bravissimo, chère Zoé, pour cette savoureuse chronique de l’atelier d’écriture. Ça fait vraiment envie….
Bravo également pour tes recherches généalogiques, en particulier la découverte du Mémoire Paillet. Une pépite! Ce travail d’enquête est super excitant, j’en sais quelque chose. La réalité dépasse souvent la fiction, j’en suis convaincue ! Ensuite, quand il faut mettre tout ça en œuvre, c’est une autre paire de manches… 20% d’inspiration, 80% de transpiration, tel est notre destin, mais ça en vaut la peine !
Tous mes vœux t’accompagnent pour ton nouveau projet. Puisque t’intéresses à Charles X, je te signale que tu trouveras beaucoup d’infos dans ma biographie « La duchesse de Berry, l’oiseau rebelle des Bourbons », notamment une description du sacre page 144.
Tout ceci me parle beaucoup, je traverse justement une phase difficile où je dois me résoudre à couper ma propre scène du sacre, que je n’ai pas réussi à intégrer de façon intelligente….
J’ai bien sûr devoré ta biographie de la duchesse de Berry, passionnante et très bien écrite. Merci pour ton message et tes encouragements !!
Comme je t’aime Zoé
C’est réciproque ma Guigui !
je pense aux divers vieux autour de moi, dont on ne voit jamais que les oreilles ou les verres de lunette en gros plan durant les visios, et je me marre.
Voilà.